C'est
sans l'ombre d'un doute sa grande passion, elle l'aime autant que
sa propre vie, et il le lui rend bien ! Sa renommée de comédienne
va promptement devenir internationale. De nombreuses épithètes élogieuses
lui sont décernées : La voix d'or, la divine, l'impératrice du théâtre.
Elle vivait pour éblouir et magnétiser le public.
Parmi les critiques de son temps, ses détracteurs purs et durs furent
plutôt rares, donc, effectivement, tout cela peut nous amener à
penser que le succès phénoménal que le public lui prodigua ne fut
pas intégralement galvaudé. Dans son ouvrage, "Les Contemporains",
Jules Lemaître a écrit : "Plus que toute autre,
elle aura connu la gloire énorme, concrète, enivrante,
affolante, la gloire des conquérants et des césars.
On lui a fait, dans tous les pays du monde, des réceptions
qu'on ne fait point aux rois." En 1896, le Tout Paris lui consacra
une fête grandiose : la journée Sarah Bernhardt ! Ce jour là,
l'échappée lyrique d'Edmond Rostand en l'honneur de
Sarah surprit l'auditoire et passa à jamais à l'immortalité.
Dans la salle les bravos crépitèrent et Sarah Bernhardt
fut canonisée à la postérité.
Voici le sonnet de Rostand
:
"En ce temps sans beauté,
seule encore tu nous restes
Sachant descendre, pâle, un grand escalier clair,
Ceindre un bandeau, porter un lys, brandir un fer,
Reine de l'attitude et Princesse des gestes.
En ce temps sans folie, ardente, tu protestes!
Tu dis des vers. Tu meurs d'amour. Ton vol se perd.
Tu tends des bras de rêves, et puis des bras de chair.
Et, quand Phèdre paraît, nous sommes tous incestes.
Avide de souffrir, tu t'ajoutas des coeurs;
Nous avons vu couler - car ils coulent tes pleurs! -
Toutes les larmes de nos âmes sur tes joues.
Mais aussi tu sais bien, Sarah, que quelquefois
Tu sens furtivement se poser, quand tu joues,
Les lèvres de Shakespeare aux bagues de tes doigts."
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Puisqu'il
faut bien définir son style théâtral, chez Sarah Bernhardt, il s'agit
bien sûr du lyrisme… Lyrisme si cher à Sarah, ainsi que le
confirme Cocteau et si opposé au style naturel de notre époque.
Les spectateurs adoraient que les comédiens clament leurs vers,
et la " déclamation musicale " les enchantait. Nous le concevons
fort aisément, Sarah vit alors dans l'époque du Romantisme et joue
des rôles romantiques à souhait, d'ailleurs elle devient l'un des
brillants symboles de ce courant… Tous ces superlatifs peuvent paraître
fastidieux mais n'y voyons aucune étrangeté, puisqu'elle nous a
laissé en héritage l'adjectif sarah-bernhardesque ! Il aurait été
manifestement plus sympathique de vivre à son époque pour mieux
la connaître. Son répertoire théâtral est si diversifié que l'on
peut, sans prétention le qualifier d'encyclopédique. Cette comédienne
complexe et ambiguë révèle dans les rôles masculins d'Hamlet
et de l'Aiglon des dons de transformisme et d'androgynisme étonnants.
Ne l'a t'on pas surnommé " la sphinge " (forme féminine de sphinx)
!
Sarah Bernhardt révèle quelques
"ficelles de son art, son approche du rôle et nous confie "On m'a
demandé bien souvent combien d'heures je travaillais par jour. Je
n'ai jamais travaillé un rôle. Je travaille le mécanisme, je l'apprends
par coeur, mot à mot : je mâche, je triture les phrases de manière
à en être absolument maîtresse dans la rapidité du dialogue, mais
une fois que je sais parfaitement mon texte, que je le tiens par
l'articulation, je ne m'en occupe plus. Tout ce que je dois donner
dans la douleur, la passion ou la joie, je le trouve à la répétition
dans l'action même de la pièce. [...] On ne doit pas chercher une
pose, un cri, rien! On doit tout trouver là en scène, pendant l'effervescence
du travail général." Dès que l'osmose avec le public réapparaît,
cette complicité si particulière à la fois charnelle et spirituelle,
l'artiste ressent de toutes ses fibre les signes du succès et elle
s'exclame aussitôt la pièce terminée "le dieu est venu".
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